Parole du château de Barbarin
Il fait encore froid ce matin. La neige est tombée. Voilà bien longtemps que mes 23 fenêtres de façade n’ont pas vu de carreaux. Brisés, souillés. Les vents coulis sont devenus les maîtres ici. Du Sud, de l’Est, du Nord et de l’Ouest ils s’immiscent, ils s’insinuent. Les flocons fondent sur mes parquets, ceux qui existent encore.
De la famille Revel, qui a posé mes premières pierres à la fin du 14ème siècle, restent les murs de cette haute tour carrée d’observation. Certains meneaux gisent aujourd’hui parmi les ruines de la grange bâtie sur l’ordre du marquis de Marcieu en 1728. Marie de Roussillon, dame du baron de Saulsac réserve encore des surprises à ceux qui sauront attendre.
Je suis née en l’an de grâce 1394… enfin, peut être. Je ne me souviens plus vraiment. Ce jour d’hui, 25 janvier 1993, deux silhouettes s’avancent dans l’hiver. Que font-ils sur mes terres ? Savent-ils que je n’ai plus rien à livrer ? D’autres sont venus avant eux, et repartis avec une cheminée, une porte, des lames de parquets, les boiseries… D’autres encore, plus jeunes, pour souiller mes murs d’insanités, de déclarations enflammées, pour dévaster ce qui restait à dévaster.
Mais ceux-là ? Ils se plantent devant moi, m’observent, me jaugent, me questionnent. Ils arpentent mes niveaux, de la cave aux chambres de bonnes. Je les sens différents. De l’émotion, de la tristesse, de l’enthousiasme, des cœurs qui battent. Serai-je l’aboutissement de leur quête ? Serait-ce la fin de ma déshérence ?
6 juin 1993, ils reviennent conquérants ! Les chevaux sont chassés hors des salons. Deux mois sont nécessaires pour évacuer les gravats qui jonchent les sols, pour fermer les ouvertures, pour couper les arbres et broussailles qui envahissent le perron et certaines pièces. Puis est installée une grille à l’entrée du domaine. Il faut maintenant communiquer auprès des villageois pour faire changer les habitudes prises depuis quelques décennies… Il est vrai qu’il était bien simple de rentrer et de s’installer sur la terrasse face à cette vue incroyable sur la plaine de Bièvre-Valoire.
L’un saura faire part de ses projets et s’investira pour ma reconnaissance auprès des collectivités. J’étais «le manoir», me revoilà «château de Barbarin», auprès de la commune, du département et de la Région. L’Etat s’intéressera même à moi ! Une surprise, que Marie de Roussillon leur a livrée sous la forme de peintures murales du XVème dissimulées sous un méchant plâtre du XVIIIème, m’a valu une protection au titre des Monuments Historiques en 2011.
L’autre, plus sombre, plus solitaire, lancera les travaux pour me réinvestir. Nettoyer, évacuer, brancher des ampoules les unes après les autres… la lumière revient, pièce après pièce. Je suis à nouveau habité.
La famille et les amis qui découvrent la folie de ces deux-là qui jouent du pinceau, viennent apporter leur aide. Je vibre à nouveau. Je respire mieux.
Et depuis je m’ouvre aux visites, à la musique, aux expositions, aux hôtes. Je n’aurais jamais pu croire que je puisse susciter un intérêt quelconque. Je m’embellis chaque année un plus. Ils prennent soin de moi.
Aujourd’hui, an de grâce 2020, tout n’a pu être sauvé mais j’ai espoir que ma longue vie va se poursuivre avec ceux-ci, ou avec d’autres, je ne sais.
parole du Château de Barbarin, sous la plume de Philippe Seigle
Très joli texte, merci
« Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement,
et les mots pour le dire arrivent aisément ! »
Bravo Philippe et Bruno
Merci Chère Alice,
La déléguée VMF devenue amie fut un soutien précieux.
Philippe et Bruno